ANAH : Agence nationale de l'habitat
Prévenir et guérir les difficultés
des copropriétés
Une priorité des politiques de l'habitat

Synthèse du rapport présenté par Dominique Braye, Président de l'Agence nationale de l'habitat - Janvier 2012


Table des matières

1. Agir sur le fonctionnement et la gouvemance de la copropriété
1.1.Créer des copropriétés viables
1.2.Gérer un patrimoine commun
1.3.L'accession à la copropriété, un moment particulier à mieux accompagner
2. Renforcer les actions publiques à destination des copropriétés fragiles et en difficultés
2.1.Une action publique davantage orientée vers la prévention
2.2.L'amélioration du traitement des copropriétés « redressables » : une priorité à la mise en oeuvre appropriée des outils existants
2.3.Des outils renforcés pour les situations les plus graves
Conclusion : Plaidoyer pour un plan national « copropriétés »


Une copropriété est un système complexe, dont l'équilibre repose sur cinq grands « piliers » internes - état du bâti, fonctionnement des instances décisionnelles, gestion financière, solvabilité des copropriétaires et de la copropriété, modes d'occupation — et sur lequel influe son environnement géographique, urbain et socio-économique. La dégradation d'un ou plusieurs de ces facteurs peut fragiliser cet équilibre et précipiter la copropriété dans des difficultés sérieuses.
La question des copropriétés en difficulté a émergé dans le courant des années 80 et au début des années 90, dans le parc de logements de la reconstruction et dans de grands ensembles qui rencontraient des problèmes de fonctionnement et des besoins en travaux importants. Ce phénomène a également pris de l'importance dans les quartiers anciens, dans des copropriétés de petite taille, avec la résurgence des questions d'habitat indigne et dégradé depuis la fin des années 90.
Pour répondre à cet enjeu, des politiques spécifiques ont été mises en place. Les financements publics mobilisés sont importants. Pour la seule Anah, opérateur de l'Etat dédié au redressement des copropriétés en difficulté 91 M€ ont été affectés à cet objectif en 2011, toutes aides confondues (travaux et ingénierie). S'ajoutent des financements de l'Anru (essentiellement affectés aux opérations de démolition, y compris acquisitions et relogement) uniquement dans les secteurs inclus dans le programme de rénovation urbaine (PRU), ainsi que ceux des collectivités territoriales.
L'intervention publique sur les copropriétés a été motivée, jusqu'à présent, par des difficultés aigües. Il en résulte une action, qui bien qu'efficace, est jugée souvent trop tardive et complexe, et uniquement ciblée sur des difficultés déjà solidement ancrées. Le mode de gouvernance particulier à la copropriété agit alors comme un amplificateur de ces difficultés et rend plus incertaine leur résolution.
Pour autant, ce n'est pas tant le modèle français de la copropriété en lui même qui pose problème que le très fort mixage en son sein entre propriété occupante et logement locatif, porteur de divergences d'intérêts entre propriétaires. Cette particularité, qui différencie la France des autres pays européens, explique en partie les difficultés rencontrées.
Les copropriétés en difficultés sont aujourd'hui mieux identifiées que par le passé sur les territoires, ce qui renforce le sentiment général d'une montée en puissance des difficultés. Par ailleurs, le besoin d'intervention publique ne fera que progresser au cours des années qui viennent, et ce, pour plusieurs raisons :

• certaines copropriétés peu nombreuses mais en difficultés très graves, font régulièrement parler d'elles par les conditions d'habitat déplorables qu'elles offrent à leurs occupants, tandis que leur situation semble irrémédiablement dériver ;

• dans les secteurs les plus tendus du point de vue du marché du logement, les copropriétés en difficultés jouent un rôle de parc de relégation pour des ménages en attente de logement social ou n'y ayant pas accès ;

• sur certains sites en rénovation urbaine, le parc public social a été traité mais des copropriétés non réhabilitées demeurent ; l'attention se porte aujourd'hui sur ces copropriétés ;

• plusieurs phénomènes se conjuguent qui sont de nature à faire basculer bon nombre de copropriétés dans les difficultés à plus ou moins brève échéance :
- tout d'abord, des besoins importants en travaux dans les années à venir, et un risque accru de dégradation et de dépréciation d'ensembles immobiliers qui ne parviendraient pas à se mettre à niveau : les copropriétés construites entre les années 50 à 80 (un peu moins de la moitié du parc) nécessitent aujourd'hui des réinvestissements lourds et des travaux d'amélioration énergétique (40 à 70 milliards de travaux, selon une étude de l'Anah, pour les 10 ans à venir), cependant que les copropriétés plus anciennes rencontrent elles aussi des problèmes d'obsolescence technique ;
- des enjeux sociaux, notamment dans ces copropriétés fragiles les plus concernées par les enjeux techniques : les anciens copropriétaires sont remplacés par de nouveaux dont les moyens sont moindres, notamment des accédants dont le niveau d'endettement est à la limite du supportable, qui peuvent peiner à s'acquitter des charges courantes, et seront d'autant plus dans l'incapacité de faire face à des dépenses de travaux. Les divergences d'intérêts entre copropriétaires, dotés de plus ou moins de moyens, projetant à plus ou moins long terme leur avenir dans la copropriété, risquent alors de s'exacerber lorsque des décisions importantes seront à prendre ;
- un modèle juridique et un mode de fonctionnement qui sont essentiellement bâtis pour accomplir des tâches de gestion courante sur des immeubles en assez bon état et sans autre problème particulier, mais qui présentent des limites lorsqu'il s'agit de prendre des décisions lourdes de conséquences, de mettre en œuvre des projets ou de réagir quand des difficultés surviennent. C'est l'équilibre de la copropriété qui peut alors se trouver menacé.

La quantification des copropriétés potentiellement fragiles ou en difficulté n'est pas aisée, une amélioration des sources statistiques serait d'ailleurs indispensable, mais leur nombre n'est pas négligeable : si on peut estimer à 300 000 le nombre de résidences principales situées dans des copropriétés rencontrant des difficultés financières ou de fonctionnement, ce chiffre atteint 800 000 à 1 000 000, soit environ 15% du parc des 6,2 millions de résidences principales en copropriétés, si l'on se réfère à des critères portant sur la dégradation du bâti ou l'occupation sociale. Dans le même temps, on peut estimer de 50 à 60 000 le nombre de logements dans des copropriétés identifiées et suivies comme en difficulté. Le problème semble donc encore largement devant nous.
Le coût de l'intervention en copropriété en difficulté, les conséquences humaines et urbaines de ces situations, l'amplification très probable du phénomène doivent conduire à retenir une approche résolument transversale et anticipatrice des difficultés.

Il convient, non seulement de guérir, mais aussi et d'abord de prévenir :
• en adaptant le fonctionnement même de la copropriété, afin de mieux anticiper les difficultés et de mieux responsabiliser les copropriétaires ;
• en mettant en place des moyens d'intervention publique dès que des situations fragiles sont identifiées.
Les outils d'intervention à l'égard des copropriétés les plus en difficultés devront par ailleurs être renforcés.

1. Agir sur le fonctionnement et la gouvernance de la copropriété


Pour faire en sorte que le cadre général dans lequel s'inscrivent les copropriétés favorise un fonctionnement harmonieux, permettant d'éviter les difficultés futures et les dérives, trois points apparaissent fondamentaux :

1.1. Créer des copropriétés viables


Des copropriétés sont encore aujourd'hui conçues de telle sorte qu'elles recèlent, dans leur organisation, des risques de dysfonctionnements futurs :

• certains projets d'aménagement ou de construction peuvent conduire à des projets inadaptés, à terme, au régime de la copropriété (surdimensionnement de la copropriété, inadaptation des équipements communs...). Les concepteurs et les collectivités territoriales doivent être incités à prendre en compte, dès l'élaboration des projets, la gestion ultérieure ;

• la pratique de la division en volumes, apparemment de plus en plus fréquente lors de la création d'ensembles immobiliers non complexes, est également problématique. Elle peut en effet aboutir à un découpage permettant à certains volumes d'échapper au financement de dépenses communes et donc de se soustraire aux contraintes de la loi de 1965, qui régit le fonctionnement des copropriétés. La répartition inéquitable des charges qui en découle risque en effet de n'être découverte que bien des années plus tard, lorsque des travaux importants seront nécessaires. Un encadrement législatif s'impose pour ne réserver l'utilisation de ce mode de gestion que dans les situations où il se justifie ;

certains produits logements spécifiques apparaissent inadaptés à la gestion en copropriété (résidences services pour étudiants ou personnes âgées en « location meublée non professionnelle », notamment) : la mono propriété, dans le cadre d'investissements en parts de société (« pierre-papier ») devrait alors être privilégiée. Les logements relevant des autres dispositifs de soutien à l'investissement locatif devront faire l'objet d'une surveillance dans la durée, surtout lorsqu'ils sont situés dans des ensembles exclusivement locatifs. S'ils sont appelés à être remis en place, ils devront être réservés aux zones les plus tendues.

• Enfin, la mise en copropriété d'immeubles existants, qu'ils soient privés ou relèvent du parc social, doit être mieux encadrée et accompagnée.

1.2. Gérer un patrimoine commun


La copropriété française se caractérise par une primauté de l'individuel sur le collectif, inadaptée aux enjeux d'investissement à venir.
Confortée par certains aspects du régime de la copropriété, une différence fondamentale d'horizons existe entre chaque copropriétaire individuel, qui tend ainsi à adopter un raisonnement de court terme fonction de sa situation personnelle, et la bonne gestion du patrimoine commun, qui nécessite de raisonner globalement sur le moyen ou long terme.
Prévenir les difficultés en copropriété, implique donc d'encourager la convergence d'intérêts entre copropriétaires, et de favoriser la gestion collective en la faisant primer sur les intérêts personnels.
Il s'agit de promouvoir un état d'esprit orienté vers la bonne gestion du patrimoine commun, non pas en réformant le régime juridique issu de la loi de 1965, mais en l'adaptant :

• la principale mesure réside dans le triptyque « diagnostic - plan pluriannuel de travaux — fonds de travaux » obligatoires pour toutes les copropriétés. L'objectif est de faire en sorte que les copropriétaires puissent, tout d'abord, connaître l'état technique de leur copropriété dans son ensemble, ce que ne permettent pas aujourd'hui les multiples diagnostics thématiques. Les travaux doivent ensuite être planifiés, en établissant des priorités. Enfin, un mécanisme tel que le fonds prévisionnel de travaux, déjà obligatoire dans certains pays, doit permettre de « lisser » l'effort financier des copropriétaires, en instituant une forme de financement de « l'usure » des parties communes par les copropriétaires successifs. Il est recommandé que les versements à ce fonds restent attaché au lot et ne soient pas récupérés lors de la vente du logement. Géré via un compte spécifique, ce fonds pourrait être conforté par la mise en place d'un produit d'épargne incitatif, et complété par un recours accru aux prêts collectifs. Enfin, est préconisée la mise en place de mesures spécifiques pour aider les copropriétaires les plus modestes dans cet effort supplémentaire ;

• afin de conserver la copropriété en bon état de santé financière, des propositions sont faites pour éviter tout développement d'impayés, en amenant les syndics à mettre effectivement en œuvre les procédures existantes, et en les renforçant (notamment : extension des possibilités d'action en référé et extension du champ du privilège immobilier spécial) ;

• de manière générale la gouvernance et la gestion des copropriétés doivent être améliorées : beaucoup est à faire en la matière, et notamment pour rétablir la confiance entre les copropriétaires et les syndics. Il s'agit à la fois de mieux réguler la profession (déontologie, formation, médiation...), et de clarifier les conditions de gestion, notamment à travers l'instauration du compte séparé sans possibilité de dérogation, ou, à défaut, l'obligation d'instaurer des sous-comptes en cas de compte unique, permettant les mêmes garanties de transparence. Est proposée, en outre, l'amélioration de la définition des missions du syndic (arrêté Novelli). Des modifications sont également proposées dans le régime de prise de décision pour faciliter les travaux d'amélioration ; de même que des dispositions adaptées pour les grandes copropriétés ;

• enfin, il est important de permettre aux copropriétaires et futurs copropriétaires d'accéder à une information claire et synthétique sur la situation de la copropriété, pour faciliter leur lecture des enjeux et une meilleure implication dans la gouvernance : l'institution d'une fiche synthétique de la copropriété répond à cet objectif.

1.3. L'accession à la copropriété, un moment particulier à mieux accompagner


Le moment de l'entrée dans la copropriété est crucial : la préservation d'une copropriété repose en effet beaucoup sur la conscience de ce qu'être copropriétaire implique, et sur la capacité à en assumer les conséquences.
C'est le moment où l'acquéreur potentiel doit savoir « où il va mettre les pieds ». C'est aussi le moment où il est encore temps de dissuader un candidat acquéreur de mettre à exécution un projet qui ne serait pas viable, dans son propre intérêt, mais aussi dans celui de l'ensemble de la collectivité des copropriétaires.
Ce moment sera d'autant plus important dans les copropriétés présentant des signes de fragilité : moins récentes, moins bien situées, en état moyen, elles attirent des accédants occupants qui n'ont pas les moyens d'acheter mieux, ou des bailleurs recherchant une rentabilité locative fondée sur un faible coût d'acquisition et sur une minimisation des dépenses courantes.

C'est pourquoi les mesures proposées visent à :

• fournir aux candidats acquéreurs l'information la plus claire possible tant sur le contexte juridique général de la copropriété que sur la situation spécifique de la copropriété dans laquelle ils s'apprêtent à acheter, pour se décider en connaissance de cause. Cela passe, en particulier, par l'affichage de certaines informations relatives aux charges dès l'annonce immobilière et la communication obligatoire d'un certain nombre de données lors de la signature de la promesse de vente. C'est à compter de leur communication que devra courir le délai de rétractation, ce qui doit permettre de limiter de « mauvaises surprises » ;
• inciter à la prise en compte, dans le plan de financement d'un projet d'acquisition, des paramètres qui entraîneront des dépenses ultérieures (charges, travaux à prévoir...) ;
• étudier comment faire barrage, dans des conditions très encadrées, à l'acquisition de lots par des propriétaires indélicats déjà présents dans la copropriété.

2. Renforcer les actions publiques à destination des copropriétés fragiles et en difficultés


L'action publique sur les copropriétés en difficulté est de manière unanime considérée comme trop tardive.
La grande majorité des copropriétés sont autonomes et des mesures de prévention générale telles que celles proposées précédemment sont de nature à maintenir leur bon fonctionnement et leur bon état technique.

Trois types de copropriétés méritent, en revanche, une action publique opérationnelle spécifique :

les copropriétés fragiles, qui se définissent par un fonctionnement et un état technique encore peu dégradés, mais avec la présence de risques sérieux ou un début de concrétisation de ces risques. Divers facteurs peuvent alors entraîner ces copropriétés dans les difficultés : la nécessité mais l'incapacité à entreprendre des travaux, le développement d'impayés, un mauvais fonctionnement des instances...
les copropriétés en difficultés réversibles, qui se caractérisent par des risques concrétisés, dont découlent des difficultés avérées et sérieuses. Leur niveau de difficultés autorise néanmoins un retour à la normale lorsqu'une action résolue est mise en oeuvre, en général sur plusieurs années ;
les copropriétés en difficultés irréversibles, dans lesquelles les difficultés sont généralisées et atteignent un tel degré que le redressement, à structure de propriété constante ou quasi-constante, n'est plus possible : résoudre la situation nécessite alors la mise en oeuvre de mesures « extra-ordinaires ».

Ces trois types correspondent en réalité à trois phases d'un même processus de déqualification, un processus continu, mais qui va s'accélérant dans le temps et voit certaines copropriétés dériver lentement d'abord, puis de plus en plus vite à mesure qu'elles approchent de l'abîme.

Or, force est de constater que toutes les phases de ce processus ne sont pas couvertes, ou insuffisamment, par des outils de traitement appropriés, qu'ils soient juridiques ou opérationnels.

2.1. Une action publique davantage orientée vers la prévention


Les copropriétés simplement fragiles ne bénéficient d'aucun dispositif, et ont fait l'objet jusqu'à présent d'une attention très limitée des pouvoirs publics. Seules quelques démarches d'initiative locale sont identifiées.

Or, se focaliser uniquement sur les cas les plus dramatiques serait une erreur grave. Ne pas mettre en oeuvre une politique d'ensemble sur les copropriétés représente l'assurance de voir se développer d'autres foyers de difficultés.

La mise en place de politiques locales préventives doit donc être encouragée. Elles passent par :
• le développement de dispositifs de veille et d'observation locale des copropriétés : les démarches de ce type sont en effet encore très peu fréquentes, ce qui nuit à une identification le plus en amont possible des difficultés. Ces dispositifs permettront en outre d'alimenter l'observation nationale développée par l'Anah ;
• la mise en oeuvre d'actions à destination des copropriétés fragiles : sensibilisation, information des copropriétaires, aides à la gestion, accompagnement social des ménages fragiles etc.

Un cadre public d'intervention pourrait être mis en place par l'Anah, dans un premier temps à titre expérimental. Il permettrait d'encourager et de soutenir, sous pilotage des collectivités territoriales, des démarches locales d'observation et de prévention dans le cadre des politiques locales de l'habitat, grâce à un cofinancement en ingénierie.

2.2. L'amélioration du traitement des copropriétés « redressables » : une priorité à la mise en oeuvre appropriée des outils existants


C'est sur les copropriétés en difficultés réversibles qu'est aujourd'hui principalement concentrée l'intervention publique, en particulier celle de l'Anah.

Cela conduit à la mise en oeuvre, efficace dans bien des cas, d'actions à caractère purement curatif. Le traitement des copropriétés en difficulté requiert d'intervenir simultanément ou successivement sur les « piliers » de la copropriété (état technique, fonctionnement, gestion, solvabilité, occupation) ainsi que, le cas échéant, sur des facteurs exogènes à celle-ci (environnement...). Pour cette raison, ce traitement met en jeu un grand nombre de processus juridiques ou opérationnels.

De nombreux outils existent déjà, et même s'il est encore possible de les compléter, la priorité est de tra-vailler sur la mise en œuvre de cet existant afin qu'il soit mobilisé à bon escient.

Il est possible ainsi d'améliorer les capacités de diagnostic, de pilotage des actions, de parfaire les concepts qui guident l'intervention. Pour cela, un appui national est indispensable : la mise en place d'un pôle national d'expertise et d'appui opérationnel à l'Anah répond à cet objectif. Il permettrait de mieux accompagner les acteurs locaux dans la définition de leur stratégie d'intervention (diffusion d'outils méthodologiques, expertise des projets...) tout en facilitant le suivi et la connaissance des copropriétés en difficulté.

Pour que l'action publique en matière de redressement de copropriétés soit efficace, il est en effet nécessaire que les conditions suivantes soient réunies :
Qualité du diagnostic et choix éclairé de la stratégie poursuivie :
La notion de « copropriété en difficulté » renvoie à un processus de déqualification qui se manifeste par un cumul de dysfonctionnements qui interagissent entre eux. L'enjeu est de pouvoir poser correctement les problèmes, d'identifier les situations, et de leur apporter des réponses adaptées. Il est primordial « d'armer » sur ce plan les collectivités maître d'ouvrage des interventions. C'est l'un des intérêts forts d'un pôle national d'appui.

Qualité de l'ingénierie opérationnelle :
La mise en œuvre opérationnelle fait appel à des compétences « pointues », qu'il faut articuler, et l'évolutivité des situations nécessite un pilotage rapproché, capable d'envisager parfois des changements de stratégies. L'accompagnement national doit permettre de veiller à ce que ces exigences soient prises en compte.

Visibilité des moyens et cadre contractuel :
L'existence d'un cadre contractuel est indispensable pour sceller la confiance et le partenariat entre les acteurs, divers, qui interviennent sur les copropriétés en difficulté. Cette contractualisation doit porter à la fois sur les objectifs et sur les moyens, elle doit associer l'ensemble des acteurs impliqués localement dans le redressement et être d'une durée suffisamment longue.
Des évolutions devront être apportées aux cadres existants (plan de sauvegarde notamment), en particulier pour renforcer leur caractère contractuel et assouplir les règles portant sur leur durée. Hors PRU, et sans nécessairement créer un nouveau type de contrat, il serait pertinent de recourir à des OPAH de renouvellement urbain, orientées vers le traitement des copropriétés.
La pérennité, et au-delà, le renforcement, dans des proportions raisonnables, des moyens financiers affectés au traitement des copropriétés en difficultés sont enfin des conditions indispensables à la mise en place de stratégies de redressement qui ne peuvent s'inscrire que dans la durée.

2.3. Des outils renforcés pour les situations les plus graves


Certaines copropriétés, heureusement peu nombreuses, peuvent être aujourd'hui considérées en « coma dépassé ». Elles sont le théâtre de réels drames humains. Malgré les financements importants mis en place par l'Anah, l'Anru et les collectivités territoriales, c'est parfois un sentiment d'impuissance qui domine.
La résolution de ces situations demanderait des évolutions dans les outils et un effort supplémentaire conséquent.
Sur la base de situations concrètes examinées en groupe de travail, un certain nombre d'améliorations ont été identifiées concernant la « boîte à outils » des interventions en copropriétés dans les cas complexes. Elles portent sur :

• l'efficacité de l'administration provisoire, par une meilleure coordination avec les processus opérationnels,
• l'amélioration du traitement des dettes de charges,
• la facilitation de la restructuration juridique des copropriétés complexes,
• la mise en place de mécanismes permettant de provoquer ou d'imposer la réalisation de travaux,
• l'élargissement du financement des travaux, et l'amélioration du préfinancement,
• le recours accru au portage,
• l'optimisation des outils de sortie du régime de copropriété, en vue de la démolition ou de la transformation en logement social.

Les deux derniers points méritent plus particulièrement d'être développés.

Le portage consiste en l'acquisition de lots dans une copropriété par un acteur public, parapublic ou soutenu par la puissance publique, puis en leur conservation pendant une certaine durée, avant qu'une autre destination ne leur soit donnée. Il présente un certain nombre d'atouts :

• lorsque l'acquisition porte sur des lots de copropriétaires lourdement endettés, il permet d'améliorer la situation financière de la copropriété ;
• le portage permet d'introduire dans la copropriété un acteur investi et solvable, ce qui peut
améliorer le fonctionnement et faciliter les prises de décision, notamment en matière de travaux ;
• l'acquisition d'un lot va entraîner le traitement social de la situation de son occupant ;
• enfin, l'acquisition par un opérateur de portage introduit un élément de « contrôle de la situation » face à des mutations immobilières « contraintes » (propriétaires fortement débiteurs contre lesquels sont entamées des procédures de saisie, copropriétaires modestes poussés à la vente par leur incapacité à faire face aux charges et aux travaux, copropriétaires plus solvables fuyant la copropriété dans un contexte de dépréciation...). Il permet d'éviter l'entrée dans la copropriété de marchands de sommeil, ou d'accédants en trop grande difficulté, pour lesquels le logement social devrait être la solution.

Le portage apparaît aujourd'hui comme le chaînon manquant, ou insuffisant, d'une action sur les copropriétés, quel que soit leur stade de difficulté. On peut en effet distinguer :

• le développement d'un portage « ciblé » (généralement limité à moins de 10% des lots d'une copropriété) : cette activité, qui existe déjà, paraît possible moyennant une amélioration somme toute assez limitée des cadres de financement. Cet outil pourrait alors être mobilisé de façon plus large et efficace pour faciliter des démarches de redressement ;
• le portage «massif » sur les copropriétés en très graves difficultés : le développement de cette activité nécessiterait en revanche une prise de risque très importante et des moyens financiers conséquents (5 à 10 000 logements pourraient être concernés). Les acteurs qui pourraient couvrir ou partager ce risque ne seront pas prêts à s'engager sans de réelles garanties, ce qui renvoie à une décision politique partagée.

En tout état de cause, la mobilisation de fonds dédiés au portage sera nécessaire si cette modalité d'intervention doit être développée, qu'elle soit ciblée ou plus massive.
La question de la « fin de vie » des copropriétés peut enfin se poser dans les cas les plus extrêmes.
La copropriété n'a pas été conçue comme un système réversible ou fortement évolutif dans sa structure. Dans certaines situations, il est néanmoins indispensable de pouvoir disposer d'outils efficaces pour mettre en oeuvre une telle éventualité, ou pour totalement restructurer la copropriété. Beaucoup d'éléments sont à parfaire sur ce point : amélioration du mécanisme de carence, traitement des dettes irrécouvrables, amélioration des possibilités de restructuration judiciaire...

3. Conclusion : Plaidoyer pour un plan national « copropriétés »


C'est donc une action d'ensemble qu'il est proposé d'engager afin de prévenir le développement des copropriétés en difficulté et de traiter de manière cohérente et complémentaire les différents stades de leur déqualification.

Cette action implique de combiner des outils d'ordre législatif, opérationnel et financier. Elle devra être inscrite dans la durée car le redressement des copropriétés implique une action de moyen, voire de long terme.

Pour pallier les insuffisances actuelles et prévenir les difficultés à venir, il est impératif et urgent que la copropriété soit promue au rang d'enjeu national au sein des politiques de l'habitat et fasse l'objet d'un plan national.

Ce programme devra se traduire par la création d'un cadre global d'intervention, véritable « plan copropriétés », affichant au niveau national une priorité forte sur ce thème, donnant de la visibilité à l'action et sécurisant la mise en oeuvre, idéalement sur une durée longue (des objectifs et chiffrages sont proposés ci-joint pour la mise en oeuvre d'actions sur une durée de 10 ans).

Sur certains sites, les actions inscrites dans ce plan « Copropriétés » seraient bien évidemment à coordonner avec des interventions plus globales sur le quartier, pilotées localement. C'est notamment le cas dans les quartiers inscrits dans le programme national de rénovation urbaine (PNRU). En revanche, il est indispensable de ne pas circonscrire l'action publique sur les copropriétés aux seuls ensembles situés dans ces secteurs.

Ce plan s'insèrerait naturellement parmi les politiques de l'habitat : le phénomène des copropriétés en difficulté procède de dysfonctionnements globaux du marché du logement et notamment, dans les secteurs les plus tendus, d'un déficit d'offre de logements locatifs abordables. Dans ces secteurs, le succès durable d'une action en faveur des copropriétés tient donc aussi à la poursuite d'une politique de développement d'une offre à destination des ménages modestes.

La mise en place de ce plan pourrait reposer sur :

• une loi « copropriété », qui regrouperaient les diverses mesures législatives proposées, notamment celles traduisant les évolutions du cadre général, et celles destinées au traitement des copropriétés en difficultés, réversibles ou non ;
• des dispositifs opérationnels partenariaux de prévention et de traitement des copropriétés en difficulté (que ce soit en quartiers anciens ou récents), dont l'Anah pourrait assurer le pilotage, en coordination avec l'Anru dans les secteurs en PRU ;
• une impulsion et un soutien à la mise en oeuvre, par la création d'un pôle de connaissance,
d'expertise et d'appui opérationnel établi au niveau national, et qui pourrait être situé à l'Anah ;
• la mise en place d'une instance partenariale de suivi : le cadre dans lequel a été élaboré ce rapport le met en évidence, l'action en copropriété nécessite de mobiliser de nombreux acteurs aux compétences variées (acteurs opérationnels, collectivités territoriales, financeurs, professions immobilières...) qu'il convient d'associer et de mobiliser largement.

Certaines pistes évoquées dans ce rapport devront faire l'objet, dans les prochains mois, d'approfondissements. Si dans le contexte économique actuel, des moyens financiers conséquents ne peuvent être dégagés, l'accent peut au moins être mis à court terme sur le fonctionnement général de la copropriété et la mise en place d'un volet préventif, qui sont essentiels à la conduite d'une politique nationale efficace en direction des copropriétés en difficulté.


Pour un plan national « copropriétés » : récapitulatif et éléments de chiffrage
L'accent devra être mis sur les mesures visant à mieux inciter les copropriétaires à prendre en compte la réalisation de travaux, dans le cadre d'un fonctionnement plus vertueux de la copropriété. Au-delà de cet objectif, qui renvoie très largement à des mesures législatives, les chiffrages ci-dessous font apparaître la nécessité d'une intervention publique renforcée.


Création d'un pôle national de connaissance, d'expertise et d'appui opérationnel aux actions en copropriété :
Une équipe pluridisciplinaire experte dans le domaine du traitement des copropriétés en difficulté est d'ores et déjà mise en place au sein de l'Anah, elle pourra être mobilisée dès le début 2012 pour accompagner la mise en œuvre des dispositifs déjà existants et mobiliser les ressources de l'Agence, développer les actions qui peuvent l'être sans attendre notamment sur le champ préventif, apporter un appui aux territoires, et poursuivre les activités en cours visant à améliorer la connaissance des copropriétés, dont celles en difficulté. Un renforcement des moyens humains et financiers serait nécessaire dans le cadre d'un programme national dédié.

Le financement de l'ingénierie :
Le développement de nouvelles possibilités en matière d'ingénierie préventive (dispositifs de veille et d'observation locale, dispositifs locaux de prévention active) représenterait un coût relativement modeste, estimé à environ 6M€ I an pour une cinquantaine d'actions, somme dont la moitié serait prise en charge par l'Anah (dépense pouvant être absorbée à court terme, déjà prévue dans le cadre du budget 2012 - 2013). L'importance du diagnostic et de l'ingénierie opérationnelle, couplée à un probable développement des actions en direction des copropriétés en difficulté permet d'anticiper, dans le cadre d'une action résolue portée par un plan national, un doublement de la mobilisation des enveloppes d'ingénierie actuelles consacrées aux copropriétés, qui pourraient atteindre en moyenne 25M€ I an, somme dont la moitié serait prise en charge par l'Anah.
Au global, ce sont près de 300M€ sur 10 ans qui pourraient être consacrés à l'ingénierie, à partager à part égale entre l'Anah et les collectivités.

Aides aux travaux aux syndicats de copropriétaires, aides au portage ciblé :
Chaque année, l'Anah consacre environ 50 millions d'euros au financement des travaux via des aides aux syndicats. En 5 ans (2006-2010), environ 1000 copropriétés représentant 50 à 60 000 logements ont ainsi été aidées, sans que cela corresponde toujours à un traitement complet de la copropriété. Compte tenu des besoins exprimés, ce montant devra être inscrit dans la durée.

Dans le cadre du lancement d'un plan national plus affirmé, un objectif de traitement global de copropriétés en difficulté représentant 100 000 logements pourrait être fixé. Le montant de travaux générés serait d'environ 2 milliards d'euros (en intégrant de possibles travaux de résidentialisation et des travaux préalables à la scission de certaines copropriétés). Les aides de l'Anah correspondantes atteindraient 700M€ sur 10 ans, soit 70M€ par an en moyenne.

En y ajoutant le développement d'aides au portage ciblé (au-delà de ce qui est déjà réalisé actuellement en plan de sauvegarde), pour quelques centaines de lots chaque année, le montant annuel moyen d'aides de l'Anah nécessiterait une augmentation d'environ 25M€ / an.

Des aides complémentaires des collectivités seraient également nécessaires dans les cas les plus difficiles. Parallèlement, le rétablissement ou le développement de mécanismes de préfinancement des subventions aux syndicats pourraient représenter, en bonification d'intérêts, moins de 5M€ par an.

Des aides individuelles, qui peuvent être versées aux copropriétaires notamment pour intervenir sur leurs parties privatives, seraient prises en charge dans le budget courant de l'Anah. Il convient enfin de signaler que grâce à des mesures réglementaires en préparation, le programme de lutte contre la précarité énergétique Habiter Mieux, confié à l'Anah dans le cadre des investissements d'avenir, devrait dès 2012 pouvoir apporter une incitation supplémentaire significative à l'amélioration énergétique de copropriétés en difficulté.

La mise en place d'un fonds spécifique, permettant notamment de donner à un administrateur provisoire la possibilité financière de lancer des actions de recouvrement d'impayés, ou des mesures urgentes dans une copropriété en carence.

Le rapport émet l'hypothèse qu'un tel fonds, potentiellement localisé à l'Anah, puisse être alimenté par une cotisation minime sur les appels de charges des 8 millions de logements en copropriété tous statuts confondus.

Le portage massif et la sortie du régime de copropriété dans les cas de difficultés extrêmes : 10 000 logements en copropriété pourraient être concernés par ce type d'intervention.

Le rachat de copropriété en vue d'une démolition ou d'une transformation en logement locatif social se traduit, en tenant compte de la quasi-absence de recettes en regard des dépenses d'acquisition, de portage, de relogement et d'accompagnement social, et de démolition éventuelle, par un déficit net de 100 à 150 000€ par logement ; la transformation en logement social, ou la reconstruction de logements sociaux étant à financer par ailleurs, sur crédits de droit commun.

Dans le cadre d'un portage massif, des dépenses de travaux s'ajoutent à celles d'acquisition, de portage, de relogement éventuel et d'accompagnement social : elles peuvent représenter 50 000€ par logement en cumulant les quotes-parts de travaux en parties communes et la réhabilitation des parties privatives. En revanche des recettes locatives peuvent exister, et au mieux compenser les frais de portage (4 à 5 000€ par logement et par an). Le bilan de l'opération dépend ensuite très fortement du prix de revente, horizon lointain et aléatoire au moment de l'acquisition.

Indépendamment de cette recette finale, l'enjeu du développement d'une acquisition de lots de copropriété à relativement large échelle réside d'abord dans la disponibilité de fonds pour acquérir, et c'est pourquoi le rapport préconise des discussions politiques au plus haut niveau pour réaliser des tours de table, en recherchant l'implication d'établissements publics fonciers, tandis que la mobilisation de bailleurs sociaux pourrait surtout être recherchée pour assurer la gestion de proximité des logements concernés.

Le besoin de fonds correspondant pourrait se monter à environ 100M€/an en moyenne, ce qui est important, mais pas totalement hors d'échelle (à titre de repère, le volume d'acquisition annuel de l'EPFIF se situe actuellement à 200M€ par an environ, celui de l'EPF PACA à environ 35M€ par an). Par ailleurs, la montée en charge des acquisitions serait nécessairement progressive, car les projets seront longs à monter, et on peut avoir à l'esprit que de nombreux EPF ( Établissement public foncier), de création encore récente, ont commencé par mener surtout une activité d'acquisition. Dans les années à venir, on peut supposer que l'activité de revente se développera et générera quelques ressources.